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326 km. 30 juin 1927
Gordini, 1er à l’Aubisque
Alors qu’il fait nuit noire, le touriste-routier Michele Gordini (1896-1970) s’enfuit à partir de Cambo. Le peloton court un temps après lui, puis, voyant un homme arrêté sur le bord de la route, croyant à tort que le fugitif avait crevé, la meute lève le pied. En réalité, l’Italien mène bon train : 36’ d’avance au ravitaillement d’Oloron-Sainte-Marie ; 58’ au pied de l’Aubisque. Largement suffisant pour qu’il bascule au sommet de ce premier col à 9h23’ avec 20’ de crédit sur Frantz. Gordini sera ensuite dépassé dans le Tourmalet avant de finir 5ème de l’étape. Une excellente performance pour celui qui se classera 24ème à Paris.
Frantz frappe fort
2ème du général ce matin à 13’4’’ d’Hector Martin, Nicolas Frantz a mené sa course de main de maître. 2ème à l’Aubisque avec 4’40’’ d’avance sur Verhaegen, 5’50’’ sur ses équipiers Benoit, De Waele et Debusschère, le Luxembourgeois a poursuivi son travail de sape, sous la pluie, dans le Tourmalet : 4’ d’avance sur Gordini, 13’ sur Benoit, 19’ sur Leducq. Les cols d’Aspin et de Peyresourde n’ont rien changé, la pluie et la boue rendant cette étape particulièrement pénible. Frantz s’est imposé à 19,854 km/h de moyenne, peut-être bien, comme le note le « Miroir des Sports », sans faire oublier Lucien Buysse (absent cette année) mais avec suffisamment de netteté pour mettre fin à tout suspens.
La Bérézina chez les J.B. Louvet
Le maillot jaune Hector Martin s’est en effet écroulé (22ème à 2h22’’) et ses équipiers n’ont pas fait mieux : Verhaegen a perdu 3h10’, Geldhof 3h12’, Van Slembrouck et Decorte 3h26’. Van de Casteele et Brosteaux ont abandonné.
Les Alcyon trustent maintenant 6 des 7 premières places du général. Le Tour de France semble déjà fini.
Une première pour Leducq
3ème de l’étape, André Leducq se souvient de ses débuts en haute montagne : "Désigné au départ de Paris, comme compagnon de chambre de Nicolas Frantz, j’avais discrètement demandé à Ludovic Feuillet de m’associer plutôt à un compatriote. Les silences de Frantz me déprimaient. J’avais alors partagé la chambre de Marcel Bidot. Et là… Plus question de silence, ce délicieux compagnon ronflait comme un moteur de Grand Prix ! Marcel arraché à notre affection, j’étais retourné avec Nicolas. Il parlait français mais ça ne servait pas à grand-chose, car il n’ouvrait la bouche que dans les cas de nécessité, pour commander un sandwich ou une bouteille de lait, jamais pour engager une conversation. Il déambulait dans la chambre sans un regard à mon adresse, vaquant à ses occupations avec le minimum de gestes pour économiser son énergie. Et quand il avait décidé de s’endormir, il éteignait la lumière sans plus s’occuper de moi. Si j’étais en train de lire, je n’avais plus qu’à refermer le livre. Ce gars là ne devait pas avoir de nerfs.
Mon père était venu à Bayonne pour cette journée de repos. Nous avons bavardé, nous nous sommes baladés et je suis revenu dans la chambre l’après-midi. Nicolas Frantz toujours hermétique, était en méditation devant une panoplie bien rangée sur la table : deux chandails, des jambières, des gants de laine et … une lampe électrique ! Je lui demande pour quel usage, et il me répond, dans son style dépouillé : - on voit pas clair là-haut… et froid, très froid.
Personne encore ne m’avait affranchi de ces petits détails, pas même Ludo. J’ai alerté mon père et nous sommes allés acheter tout ce qu’il fallait. (…)
Comment pouvais-je me représenter la montagne ? J’avais escaladé le col de Nevacerrada en 1922, dans Madrid-Santander au côté de Nicolas Frantz précisément, et rien d’autre. (…)
On aborde Aubisque, Frantz n’a pas tardé à se détacher. Mon ambition n’était pas de le suivre mais de terminer à un rang honorable. Au sommet, j’étais dans les 5 ou 6 premiers ! J’ai escaladé le Tourmalet, ensuite, tant bien que mal et somme toute, plutôt bien. (…) Je suis parti dans la descente comme un gosse sur un manège. Je me maintenais dans le sillage d’Adelin Benoit que l’on disait être un descendeur formidable. (…) Je ne me sentais plus. Il n’y avait plus de Pyrénées pour moi. Je me prenais pour Louis XIV. Nous avons dépassé l’héroïque et mystérieux Gordini dans Aspin. Il était au bout du rouleau. Ses manivelles marquaient le pas. Et puis, j’ai eu froid et Adelin Benoit m’a lâché dans la descente. (…)
J’étais 5ème (au général) et premier Français. J’avais tremblé devant les Pyrénées, et elles faisaient de moi la révélation du Tour 1927. Je découvrais mon Amérique dans le Tourmalet" (« Une Fleur au guidon »).
Classement de l’étape
Place | Coureur | Temps / Ecart |
---|---|---|
1 | Nicolas Frantz (Lux) | en 16h25’10’’ |
2 | Adelin Benoit (Bel) | à 11’40’’ |
3 | André Leducq (Fra) | à 14’40’’ |
4 | Maurice De Waele (Bel) | à 22’13’’ |
5 | Michele Gordini (Ita) | à 27’58’’ |
6 | Jan Debusschère (Bel) | à 31’48’’ |
7 | Henri Touzard (Fra) | à 32’18’’ |
8 | José Pelletier (Fra) | à 36’10’’ |
9 | Louis Muller (Bel) | à 38’57’’ |
10 | Secundo Martinetto (Ita) | à 44’58’’ |
Classement général
Place | Coureur | Temps / Ecart |
---|---|---|
1 | Nicolas Frantz (Lux) | en 81h31’12’’ |
2 | Maurice De Waele (Bel) | en 82h9’39’’ |
3 | Hector Martin (Bel) | en 83h9’ |
4 | Julien Vervaecke (Bel) | en 83h44’58’’ |
5 | André Leducq (Fra) | en 83h45’18’’ |
6 | Adelin Benoit (Bel) | en 84h27’32’’ |
7 | Gaston Rebry (Bel) | en 84h40’50’’ |
8 | Maurice Geldhof (Bel) | en 85h7’4’’ |
9 | Raymond Decorte (Bel) | en 85h12’7’’ |
10 | Louis Muller (Bel) | en 85h26’21’’ |